De sacrés bigots
C'est hilarant de lire les déclarations de nos professionnels du cyclisme, si l'on est moqueur, je le suis, un peu sombre, c'est moi ça, on dirait qu'ils ne sont que fantasmes, bigoteries et paranoïas
Et je parle des professionnels mais cette maladie est universelle avec la bicyclette. Futuriste, au début du XXème, la philosophie de la bicyclette est clairement animiste : mon vélo est vivant et l’esprit qu’il y habite est soit malin, soit amical. Au début je ne pensais pas que c’était ancré autant dans les crânes de mes pairs, mais, exemple, dès que je parle de “mon” cinglé du ventoux, la première réaction n’est pas “gg mate”, “t’es un bon” - et forcément je chiale car c’est pour soigner mon égo à la base que je raconte mon cinglé du ventoux, je l’ai pas fait pour moi hein mais pour me la jouer auprès de vous ; la première réaction est toujours : “quel poids ton vélo ?”. Mon vélo, lui seul, est habilité et habité d’un poids et il s’est tapé le ventoux comme un connard pendant que je pensais à autre chose, tel un pantin dans la fange tiré par la machine d’acier. Oui mon vélo est un (mi-)lourd frère en acier, oui c’est mieux que l’alu, c’est mieux que le carbone même, mais là n’est pas la question : je pèse 60kg et représente donc 83% du poids à trainer en haut de ces merdes, en allant chercher le fantasmagorique “6,8kg”, je n’aurais gagné “que” 5% de poids et pas mieux réussi ou mieux raté mon cinglé pour ces 10 minutes gagnés en tout sur toute la journée de cagnard. Mais le cycliste est un taré, éternel taré, qui pense sincèrement que sa force vient d’ailleurs, qui reproche aux motorisés de l’être, qui rêve de les rejoindre - tout aficionado cycliste veut un show netflix comme la F1, Drive to survive, en refusant de comprendre que le show de la course suffit (contrairement à la F1 héhéhéhéhéhéhéhéhéhéhé) ; et refuse à son propre corps, les lauriers et le mérite. Ou le minimise.
“t’as tes vitesses ?”
C’est le cas de Benoit Cosnefroy dont la déclaration récente a passionné mes pairs. Il a dit en gros que “le matériel” était le premier truc qu’il allait regarder pour son prochain contrat. Sous-entendu bien plus que le salaire et c’est tout à son honneur ou encore plus que son propre bien-être, à moins que le bien être qui habite Benoit soit celui qui hante le vélo qu’il possède, animiste. Sous-entendu : son BMC Teammachine SLR01 LTD (à plus de 10k en retail mais qui n’a pas de prix dans les spécificités d’une équipe world tour) n’avance pas alors que le S-WORKS Tarmac SL7 (par exemple, légèrement plus cher en retail) roule tout seul. Cette déclaration s’est accompagnée d’un million d’articles dithyrambiques comme quoi le vélo, sport mécanique s’il en est, devient de la F1 et que le matériel change tout et qu’on peut gagner 0,5 watt en pédalant le genou à 2° NO (seulement quand Mercure est en retrograde).
Sur ce sujet, personne n’ose trop aborder la réalité des choses et on est dans le pur délire fantasmagorique qui me rappelle un petit de mon quartier quand il avait acheté son nouveau VTT : un topbike au carrefour venette (oise). Kamel, son vélo affichait un nombre impressionnant de 21 vitesses : soit un pédalier à 3*7 pignons. Cela en faisait son immense fierté. Il venait nous voir avec nos vieux vélos (un vtc décath de mon daron pour ma part qui faisait, de mémoire, 2*9), et nous disait "alors t’as tes vitesses, moi j’en ai 21 tu sais”. Et le voilà devant nous à les passer une à une en les comptant. Et on était très heureux pour lui. Et on finissait par l’éclater dans un mini sprint au panneau du square sans qu’il ne comprenne les autres enjeux du vélo que sont le nombre de vitesses à tirer. Ce “t’as tes vitesses” est resté une blague qu’on se fait régulièrement avec mon pote d’enfance. Benoit Cosnefroy est quasi dans le même délire que Kamel et personne, surtout pas les équipementiers, n’ose lui ouvrir les yeux. Il est temps de créer un cyclisme woke, Benoit, et je sais que ton sport est un tel délire de paysans flammands réactionnaires et bigots, mais putain : le règlement UCI impose des vélos de série, ce qui est le seul règlement pas trop con d’ailleurs, et tous les cadres de vélos vendus dans le monde sont en fait fabriqués par le même gars dans son petit garage de son petit état insulaire : Taiwan.
Oui bon je stéréotype un peu. Aussi le cadre ne représente même pas 5% de l’efficacité effective d’un vélo : la pénétration dans l’air d’un cadre aide clairement, surtout aux vitesses professionnelles, mais c’est ton gros cul qui te freine le plus, rentre le. Alors on va me parler des autres composants du vélo et de tous pleins de choses très intéressantes qui font que le vélo est un assemblage à la fois low et hi tech d’artisanat différent. C’est une spécificité qu’il ne faut pas négliger, l’innovation est portée par les marques et fournisseurs qui travaillent avec les équipes mais n’est pas portée, majoritairement, par les équipes elle mêmes avec une task force en leur sein (le financement du cyclisme ne leur permet pas à grande échelle). Il faut comprendre que l’innovation qui vient majoritairement n’est pas celle du sport mais celle d’un marché mondialisé et ultra concurrentiel, en un mot : chaque innovation ne met même pas 1 mois (1 semaine) à être universalisée au sein de tous les équipementiers qui sont à l’affut. Les roulements ont été la technologie qui a le plus gagné en efficience en 20 ans, à tel point qu’ils savaient pas quoi en foutre pour qu’on en retrouve dans nos handspinners - j’exagère un peu aussi. Les brevets de ces petites billes en céramique qui tournent sans opposer de résistance sont toutes incluses dans les moyeux de toutes les marques de roues et de pédaliers. Et si jamais, on te connait Benoit, t’apprends qu’un pédalier retire 1% de friction de plus, tu vas te le procurer et limer la marque pour ne pas te prendre une amende de ton sponsor. Chaque petite innovation devient une bigoterie fantasmée de ceux qui ne la possèdent pas. C’est ainsi qu’est construit ce sport, c’est une histoire de stickers qu’on colle et recolle avec immensément de paranoïa, beaucoup de limage, rien de concret, beaucoup d’image.
Faites venir les poilus
Les “gains marginaux” qui sont une recherche scientifique, quasi industrielle et précise, de tous ces petits éléments afin de prendre de l’avance sur les autres sont même devenus une sorte de fantasmagorie mal interprétée : soit on les accuse de chamanisme, soit on méprise ces méthodes qui “ne sont pas du vélo”. A tel point que le scientisme remplace plus souvent le scientifique et se transmet entre pro puis ruisselle aux amateurs qui ont du mal à s’en extraire : poids du vélo, nutrition, vêtement, entrainement, tout et n’importe quoi se racontent et perdurent à travers le temps sans jamais disparaitre, dans un long cycle Kondratiev. Je vois encore tellement de sorties strava hivernales racontant “rester sur le petit plateau”, un vieux mythe de cyclistes qui veut qu’en hiver on ne doit faire que du petit plateau pendant longtemps avant de s’autoriser à faire des intensités au début du printemps : si dans les faits c’est intéressant (et vrai) d’avoir une grosse base aérobique pour mieux faire des intensités, il n’y a aucune contre-indication (et les triathlètes l’ont montré et le home trainer l’a universalisé) à attaquer sa basse saison avec des intervalles bien juteux et à placer l’aerobie autrement ou même entre les sessions.
Cette vie basée sur des croyances ancestrales “qui ont toujours fonctionné”, c’est très pregnant dans le cyclisme français, où par exemple un Pierre Rolland a du se résoudre à investir dans un capteur de puissance qu’une fois qu’il a signé chez canondale-drapac (l’ancienne EF) et en parle encore comme étant la pire transition de sa vie : lui qui a gagné l’Alpe d’Huez “juste” en buvant de l’eau sucrée et en roulant un peu plus fort contre le vent, n’avait pas compris les enjeux de cette précision - et je me demande si il les a comprise aujourd’hui, pas sûr. Nous étions en 2016, la préhistoire et le cycliste amateur de 2023 qui a accès plus facilement à toutes ses informations les regardent encore avec le même doute qu’a habité monsieur Rolland. Son collègue, le Voeckler, avait lui un intérêt fort pour le textile : il est connu pour avoir filouter son équipementier en achetant des Gabba Castelli à tous ses collègues de la structure Bernaudeau, et qu’ils ont démarqué, afin de ne pas perdre de terrain face aux équipes concurrentes toutes fières dans la veste noire “magique” qui permettait d’affronter mieux la pluie. Ce genre de coup satisfait encore Castelli dans le message marketing de ses gabbas là où ce textile est, désormais, vendu et cousu en gros par des usines asiatiques pour tous les équipementiers et ce dès la première année où les gabbas sont apparus : si on résume un peu cyniquement ils ont quasi juste acheté le tissu sur un salon du textile avant les autres marques. Cette petite anecdote montre la tradition séculaire du cyclisme qui se transmet à la fois par La Grande Histoire (“Mercx s’entrainait comme ça en mangeant des fruits comme ça”) que par les effets de mode du peloton plus ou moins efficaces. Toutes ces sommes de bigoteries traditionnelles et modes sautent peu à peu au fil des tabous ou, parfois… reviennent de loin et se rattachent aux coureurs comme le rosaire d’une mama latine qui ne ressort qu’à Lourdes pour rester dans le tiroir le reste de l’année. Benoit, s’il te plait, va dans une équipe qui t’offre un cadre de vie satisfaisant avec un entrainement et un équipement adapté à tes attentes, un mécano qui travaille pour toi personnellement et non aux standards généraux (c’est souvent là que le vélo se règle mieux), va dans une équipe qui t’accueille et t’ouvre plus que dans une équipe où les vélos roulent plus vite. Les vélos ne roulent pas plus vite, ils ont juste des gars dessus suffisamment équilibrés et confiants dans leur tâche pour rouler plus vite. Mais si, pour toi, cet équilibre passe par le sticker d’une marque sur du carbone moulé, alors ok j’ai rien dit, ça va, c’est cool aussi.
Seul un tabou semble résister et est en train de sauter sur l’influence d’un être très à part dans le peloton. Sur Tirreno, Roglic a gardé son poil aux pattes et le milieu, toujours aussi cyclisto-débilo, crie au crime ou se moque avant de se mettre à douter. Les jambes rasées sont la fantasmagorie ultime du cyclisme. Se raser les jambes permet d’entrer dans la caste, c’est un marqueur fort du marketing cyclisme d’ailleurs sans que personne ne soit capable d’en exprimer l’utilité finale, spoiler alert : ce n’est qu’un esthétisme. Roglic, pourtant pas le dernier des bigots avec son immense croix tatoué, vient de faire sauter cette digue dans une année où il est à la recherche du renouveau : et si les poils étaient finalement plus efficients, carrément plus aéros que les jambes nues ? Ce délire va cramer des cerveaux cyclos. L’UCI lui l’a déjà prévu dans son réglement : “Est notamment considéré comme équipement interdit par l’article 1.3.033 du Règlement UCI tout produit ou substance ajouté sur le corps (jambes, bras, etc..) dans un but d’amélioration de l’aérodynamisme. Des huiles spécifiques pour la protection contre le froid ou la pluie restent tolérées.”
Le poil, nouvelle religion ou nouvelle interdiction ? On en reparlera en 2033 vu le rythme de ma news.