L'étrange néo-Puritanisme de La Coulée Verte
yo bb sava, j'ai fait les Cinglés du Ventoux (sans payer l'adhésion, j'suis pas un yen-cli) mais parlons d'autre chose : La Coulée Verte du Sud Parisien ne veut plus de moi et je ne veux plus d'elle.
Cela a commencé après le confinement - il y a si longtemps désormais. Forcément, j’ai remarqué que les regards avaient changé. Mes velotaffeuses les plus sereines me guettaient un peu plus vénères, toutes sur la défensive : je ne les doublais plus comme avant, on ne se saluait plus comme de bons soldats du tertiaire avançant dans l’absurdité de notre organisation sociétale : non, elles voulaient que je dégage. Et je devais dégager, vite. Pour ma survie.
Original Pirate Material
La Coulée Verte du Sud Parisien, pour son nom complet, est une sorte d’utopie anachronique apparue à la fin des années 70, et officialisée en 1985, arrivant à relier “Massy-Verrières” (dans l’Essonne) à une place parisienne (de Catalogne). Le plan à la base c’était le prolongement de l’A10 jusque Paris, le plan à la base, dans le futurisme des années 50, c’était la Bagnole. Mais des habitants se sont violemment opposés à la marche forcée et, regroupés en fédération d’association intervilles (Massy, Fontenay, Sceaux), ont commencé à défendre ces friches, délaissées d’entre deux projets, qui reliaient leurs villes. L’engagement écologique des seventies ainsi que la crise pétrolière ont finalement eu raison du projet autoroutier, mais, plusieurs autres projets ont été posé autant par la RATP que la SNCF et les associations de défense des friches ont dû batailler une nouvelle fois pour prouver, ici l’impact écologique, là les inégalités territoriales (en mettant en avant “les carences en espaces verts” ou encore que certaines villes, les riches, prenaient le droit d’un souterrain traité contre la vibration quand d’autres subiraient l’viaduc ouvert d’inspiration tonton Eiffel). De tous ces combats (et du hasard électoral diront les cyniques) est finalement sortie une trace sanctuarisée et réservée aux “mobilités douces”, pour reprendre le terme contemporain. Un lieu pour tous. En un mot : une aberration urbanistique dans le contexte et une légende francilienne de la mobilité (“Il existe un endroit où pendant une dizaine de kilomètre, on peut marcher/rouler sans être perturbé par un flux motorisé” nan tu déconnes, bro). L’esprit originel derrière la coulée verte est évidemment “hippie” peut-être un peu punk, surtout les locaux se sont totalement appropriés le lieu réunissant autant des pic nics familiaux, des balades canines, des “apéros”, sans parler de ces contre-allées labyrinthiques, terrain propice pour consommer sa drogue récréative de lycéens/étudiants ou, plus prosaïquement encore, se peloter (La proximité de l’iut de sceaux, ainsi que quelques lycées, aidant). Les travailleurs banlieusards, cyclables, ultra minoritaire des années 2000 l’ont évidemment plus que sanctifier. Le jogging, puis le running, puis le trail, étaient tout aussi minoritaires et ce petit monde a cohabité. Et c’est d’ailleurs comme cela qu’elle m’a été léguée au milieu des années 2010 : un peu bancale, mais sans réelle équivalence pour connecter Paris du Sud.
Grattage de bailleurs
En vrai, je ne le voyais pas, mais la Coulée Verte d’avant confinement était déjà bien malade et, comme la caravane, je ne faisais que passer en aboyant - ou presque. De moins en moins en friche, de plus en plus organisée, chaque jour elle était grattée à droite, à gauche. Son usage hautement valorisé par les locaux (ou simple usager) amène forcément une spéculation et t’as qu’à lire 2 sites immo pour le comprendre facilement “proximité gare et coulée verte et toutes commodités le tintouin” alors les mairies, aux finances de plus en plus exsangues, alors les vieux pionniers de la coulée quasi entre 4 planches… Tout le monde a commencé à lâcher l’affaire un peu. Résultat le petit chemin caillouteux et chiant - ce qu’ils appellent gravel sur les leaflets des vélocistes ; a été goudronné, et c’est super sympa merci, mais en fait vous l’avez fait parce que le financement est venu : un 3 étages a poussé au dessus des plus grands arbres (tous malades et bientôt abattus) et c’était surement dans le deal de valorisation urbanistique, dans le cahier des charges du PPP (partenariat public-privé). Merde, j’aurais dû lutter pour dégoudronner cette route ! Depuis la fin du confinement, il y a de plus en plus de vélos et c’est une super chose, ça fait plaisir : ça pérennise la coulée verte. Mais pas La Coulée Verte. Cette explosion affronte une coulée verte qui a de moins en moins de chemins de traverse, de plus en plus de grillages qui semblent se rapprocher comme les murs cloutés dans les films d’aventure - et personne n’a encore trouvé comment arrêter le mécanisme. Entre la voie SNCF et les projets immobiliers, il reste à peine de quoi étendre les bras assis sur le vélo, j’exagère. (Peu). C’est là qu’on comprend que l’explosion du débit de vélo se fait en même temps qu’un rabattage des promeneurs sur les traces censés être “100% cyclable” - dont certains panneaux anachroniques “Interdit aux Piétons” résistent tant bien que mal. Et donc, j’ai commencé à me faire engueuler. Un matin un promeneur m’a dit : “dégage c’est piéton ici” (mais non cette voie ne l’était plus car il y avait une déviation sur l’ancienne voie 100% cyclable et donc cette zone là, c’était devenu C115, à savoir le panneau Piéton/Vélo “voie verte”). En un mot, le vélo est devenu l’automobile de la coulée verte - et je ne m’acharnerai pas ici dans la propension qu’ont les hommes de 45 ans à mettre des shorts et à débrider leur VAE m’incluant dans cette automobilisation ; les rouleurs plus aguerris, habitués à prendre le large ici et là, à annoncer et éviter les obstacles, se retrouvent donc dans une situation de prédateurs inutiles : “ils roulent vite”, “ils font pas attention…“ Je n’ai bien sûr aucune envie de cartonner un enfant qui se promène ou un cadre dirigeant du CAC40 qui a abandonné le SUV pour la douceur de nos vies, mais toute l’infrastructure commence à me resserrer de plus en plus vers cette inéluctabilité, tout le système me dit qu’il est temps de partir, que les sauvageons n’ont plus lieu d’être ou qu’ils se cachent derrière les buissons.
Cyclistes, pieds à terre
D’un imaginaire quasi punk et de lutte, la Coulée Verte s’embourgeoise très vite, très très vite, et on voit fleurir de plus en plus de panneaux adressés aux cyclistes dans tous les endroits stratégiques et, semblerait, dangereux, et on voit apparaitre des ralentisseurs n’importe où - que je saute forcément comme des planches de CycloCross, créant ainsi ma propre réputation merdique. La Coulée Verte se puritanise, elle se doit d’être conforme à 100% à la vue 3D qui rame quand les mairies présentent le projet à la salle des fêtes lors des concertations publiques. Il est impossible désormais d’y rouler. Cette Utopie Verte avait déjà perdu sa priorité sur les intersections avec les rues “automobiles”, on s’y faisait, elle perd maintenant sa priorité durant toute sa coulée : pour le bien de tous, on s’y fera. Forcément, les comportements “alley cat” et “wild”, pourtant bien ancré dans l’ADN du cyclisme urbain, seront irrémédiablement marginalisés et il m’ait tout aussi impossible de les défendre et de les pratiquer : résultat la Coulée Verte disparait des habitudes. Ce n’est plus un lieu pour tout le monde, finie la fumette et le slalom. Ne pas avoir su la défendre et anticiper sa mutation m’oblige à devoir la quitter, ne pas m’être engagé pour transmettre son adn aux nouveaux usagers m’oblige à les laisser créer leur propre code. Mais la défendront-ils eux aussi ? Fini mes discussions, quasi torrides, dans la côte de Sceaux avec ces dames qui retiraient leur long manteau dans la fin d’un été indien : “il fait encore chaud finalement”. Fini mes repérages de certains secteurs à escalier : “ça ferait un excellent cyclocross ici”, fini les slaloms entre 2 profs d’EPS en VTT croyant encore tenir le forme : ces cons ont de toute façon acheté un VAE Sportif (ces gros VTT qui roulent à 50), fini la coulée verte où on se saluait, on était que 3, sous la pluie avant de glisser sur ce goudron dégueu, pas entretenu, pas adapté, se prévenir entre nous, se filer une chambre, une pompe, un bonne soirée. Désormais, il y a les panneaux qui veilleront sur ces gens ainsi que la zone outil qui, vandalisée bien trop vite, disparait aussi vite qu’elle est installée. Ne restera, sur la Coulée Verte, que les jardins de bailleurs privés qui ont réussi le magnifique tour de passe passe d’en confier l’entretien aux mairies et, même ton chien, ne pourra plus y courir. Va falloir trouver autre chose. Alors amusez-vous bien avec, car moi je me casse.