Longchamp, Vincennes, Rungis : Mourir sur les rings franciliens
Profitant d’un particularisme topographique, les cyclistes franciliens ont investi 3 lieux iconiques.
Stade ayant perdu son âme pour gamins amnésiques (Parc des Princes), échangeur d’A86 (Antony, La Croix de Berny), destination de box cadeau pour conduire une Ferrari (Linas-Monthléry), restaurant privilégié (Bois de Vincennes) ou forteresse de la fédé’ pour team building de grandes entreprises (Saint-Quentin-En-Yvelines) sans oublier ceux qui n’existent vraiment plus que sur Gallica de la Bibliothèque Nationale (Buffalo à Neuilly, Vel d’Hiv, Vaugirard, etc.), les vélodromes, omniprésents en Ile-de-France au début du XXème siècle, sont devenus des lieux fermés et quasi-inaccessibles pour les lambdas en besoin de bornages sécurisés et d’entraînements quasi-millimétrés — Ne rayonne que le vélodrome de Saint-Denis.
Pas découragés pour autant et, profitant d’un particularisme topographique, les cyclistes franciliens ont investi 3 lieux iconiques, lesquels ont leur code, leur culture et même de grosses gamelles : Longchamp, Vincennes, Rungis.
Longchamp, le roi des anneaux
Longchamp (regular lap)
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Autour de l’hippodrome de Longchamp, on retrouve les bois de Boulogne et son aura aussi sulfureuse qu’anodine. Des 3 anneaux urbains, Longchamp est La Mecque, il est d’autant plus culte pour le fan/sportif qu’il n’est pas loin des studios de télé diffusant le cyclisme en France (France Télévision, L’Equipe TV, Eurosport) drainant donc sur son asphalte les stars ultimes de ce sport : pro retraité désormais consultant et finisher d’Iron Man, journalistes et Cyrille Guimard, candidat déchu de la FFC. Cela se déroule souvent le matin avant l’antenne et t’as toujours un petit vieux avec son appareil photo au cas où. Mais ce n’est pas son côté paillette et ses clubs de cyclotouristes du 92 qui font le succès ultime de Longchamp c’est aussi sa position géographique : à l’ouest de Paris il sert de Porte d’entrée/d’arrivée des baroudeurs de la vallée de Chevreuse. Il permet d’arrondir son Century (faire 100km et/ou 100miles) et améliorer nettement sa moyenne horaire pour flex sur Strava.
A Longchamp, on retrouve tout ce qu’on aime dans le cyclisme : son peloton, ses vannes qui fusent, les cuissards camaïeux qui boulochent, ses petits vieux racistes — qui n’aiment pas trop les caravanes installées sur le pré. On retrouve aussi tout ce qu’on déteste : l’odeur de camphre, les mecs qu’ont la bouche fermée, les mêmes qui disent pas bonjour dans la côte de Senlisse et cette commu’ dégueue à rouler frénétiquement non pour accompagner, s’entraider mais pour foutre dans le rouge et se défaire — quand ils ne se moquent pas ouvertement. Heureusement les chutes ne sont pas si rares et on prend un certains plaisir à voir une roue qui vaut un smic se plier dans un parpaing : il faudra en refaire des posts instagram pour avoir une paire gratuite, connard d’influenceur - on se surprend à penser le cœur revitalisé de l’adrénaline d’avoir esquivé. Longchamp il faut aimer mais pas besoin de l’épouser pour en profiter : ça t’apprend les bases du cyclisme francilien, ça te met dans l’ambiance du club, du cyclisme ufolep, ffc, compèt. Il y a du vent et on tourne en rond, donc se placer, sprinter, attendre, tout ce langage off du peloton, celui que tu n’as pas sur le home trainer, ce que Zwift n’arrive pas à simuler, tout ce qu’un ordinateur de bord ne t’apporte pas s’acquiert vitesse grand v. Si t’es une machine sans expérience, va à Longchamp : Au bout de quelques tours, tu rentres dans les ordres, tu as tous les codes communicationnels, tu signes de la main, non pas pour prier, mais pour annoncer les obstacles, les véhicules lents. Fast pack ou pas, confinement ou pas, t’as toujours des gus qui tournent à “lon lon” et c’est l’assurance d’obtenir quelque chose, même quand tu ne viens rien chercher.
Vincennes, c’est la famille
Polygone de Vincennes
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À la symétrie de Longchamp, t’as l’autre hippodrome parisien : Vincennes. Ici, on l’a compris, ça devient un cours de géométrie. Ce n’est pas vraiment un ring, mais un “polygone”. Si la trace est un jolie dessin, l’ambiance est proche de la physique théorique : On ne sait pas qu’on on est dans le polygone tant qu’on ne l’a pas constaté et quand on le constate c’est qu’on l’a quitté. Tu ne tournes pas autour de l’hippodrome mais à côté à la croisée d’allées, aux noms bucoliques, et de chemins familiaux. Avec tes lunettes géantes et tes jambes rasées, tu détonnes. Dans le monde d’avant ça voulait dire qu’à chaque ronde hippique, la foule massée et garée à travers le bois, s’invitait sur ta trajectoire d’olympiens et tu n’avais pas ton mot à dire : tu es clairement l’ennemi. Ici c’est toi le motorisé d’la bande. Le public de Vincennes, au delà de l’hippodrome, est évidemment bien plus familial et animal domestique que sur Longchamp où tu trouves les sauvages. Il y a quand même moyen de tenir une bonne moyenne et de se faire plaisir.
Le tour est à peine plus court qu’à Longchamp mais, dans les bois, on est plus à l’abri malgré un léger dégagement “en haut” juste après un virage dit du terre plein. Le polygone a plutôt une gueule de triangle isocèle avec deux grands compas posés en faux plats et v’là que tu relances en montant et v’là que tu descends en priant qu’ils s’arrêtent de pédaler, le rythme y est plus binaire et moins décomposé qu’à Longchamp. On y croise moins de monde et un peloton vrombissant y est plus rare : quand tu le trouves il peut être bien plus exigeant que le fast pack longchampien, les mecs qui frottent à Vincennes sont généralement ces loubards d’occasion, ceux qui pillent les boutiques dans une manif qui dégénère mais qui n’auraient jamais eu l’idée d’organiser un braco. Vincennes est plus jolie que Longchamp si vraiment on s’attarde sur la déco, ici c’est aussi un point de retrouvaille pour partir vers l’est et remonter la Marne. Il y a de jolies raidards par là bas et de beaux clubs qui tournent. La vraie tristesse de tourner à Vincennes c’est qu’on ne pense qu’à La Cipale et sa piste en béton d’antan. Elle fait fantasmer cette piste, les tribunes sont classés monument historique avec son maillage en acier et ce petit style art nouveau, le béton a été refait récemment et, quand bien même, il en a connu tellement d’autres qu’on aimerait y poser son cul avec facilité : ça pue le vélo partout mais ya des cadenas à l’entrée et des gens en costume qui garent le SUV pour manger gastro dans le site classé. Pas de quoi cracher dans la soupe, la Cipale s’ouvre contre une modique somme et une licence (FFC, FSGT, Ufolep), il parait que des connaisseurs y tournent entre midi et y laissent leur vélo même : cela ressemble à un club secret de retraités et ni la mairie, ni les gérants ne communiquent vraiment dessus.
Rungis, la fraternelle
Rungis MIN
Ride Segment Chevilly Larue, Île-de-France, Francewww.strava.com
Des 3 rings, Rungis est le plus mythique : il a ses propres criteriums et il n’est pas “à côté”. C’est celui où le banlieusard fier reprend un peu de voix. Pour y accéder il faut plonger dans le sud, c’est juste devant Orly. Le ring n’est qu’en fait la rocade (ou circulaire) du Marché d’Intérêt National de Rungis, Le MIN comme il se nomme. On trouve plusieurs portes d’entrées, il y a celle de Wissous où, de la piste cyclable qui enroule l’aéroport, avec ses camps roms qui popent, faut slalomer entre le tramway et les différentes ZI imbriquées dans d’autres ZI, tu passes toutes sortes d’Hôtels d’aéroports devenus des logements sociaux, la mélancolie banlieusarde transparait dans cette réalité. Il y a celle de Chevilly-Larue où après quelques boulevards t’arrives par une giga passerelle qui n’en demandait pas tant. La dernière porte est du côté de Thiais, on y voit Belle-ép : l’un de nos malls géants de banlieusards et faut pas se tromper avec les bus et les camtars. Rungis est une gare de triage géante de notre mode de consommation, le site est fermé au public : il y a un péage à l’entrée. Mais les vélos sont tolérés. Si tu connais pas, t’as le gars de la sécu qui peut t’aider, ça dépend des jours et de la porte : il y a le sympa, le ronchon et tout ce qu’on connait comme gardien de gymnase. “Vos copains ils passent par là”, il nous a dit le premier qu’on a croisé. Par là c’est entre la barrière et l’accès piéton. Dans Rungis, nos copains et nous, on a même des panneaux dédiés, c’est que ça tourne depuis longtemps ici (dès son ouverture disent les anciens, 1969). Tous les clubs du sud et du 94 sont là, les cyclotouristes aussi et, comme à Longchamp, quelques pros. Et les camtars. Les panneaux, jaunes, interdisent la rocade aux vélos du lundi au samedi de 3h à 18h, par arrêté préfectoral. Ils rappellent aussi de respecter le code de la route dans l’enceinte du M.I.N., ce qu’on ne fera pas ailleurs.
Ils ont l’habitude de nous les gars qui y bossent et on y aperçoit presque une bienveillance, à condition de rester dans le rang et de respecter le feu de la circulaire ouest, le rond point à l’est reste le point le plus dangereux : on n’a vraiment pas l’habitude de le respecter. Ceci dit, c’est surement le lieu francilien où on se sent le plus en sécurité entouré de camions : quand le cycliste est obligé de moins l’ouvrir, l’ambiance est plus détendue. Les horaires de prime time de Rungis, de 18 à 3h du mat’ selon l’arrêté préfectoral, placent ce ring dans un autre temps — nda de pandémie : je n’ai jamais essayé d’y tourner durant le couvre feu et ne peut témoigner de ce qu’il s’y passe. Il parait que ça tourne l’après-midi mais les habitués et les habitudes se font au crépuscule, avec ce soleil rasant qui veut signer la fin de partie quand l’éclairage artificiel transforme le tout en un stade de foot éternel, l’entrainement nocturne accompagne les finishers d’Iron Man, plus anonymes, jusqu’à la collation, celle qu’on prend avec la tête qui tourne et les cuisses qui fument dans le froid. La boucle est aussi clean et agréable qu’un périph vide, le bitumeux peut se foirer par endroit mais est entretenu par la société gestionnaire — l’omniprésence de véhicule oblige un entretien régulier ; aussi la largeur de la route, adressée aux gigas camtars, permet d’avoir la place pour esquiver quelques nids de poule. Avec ses courbes comme des lignes droites, il n’est pas rare de croiser des rois du Contre-La-Montre privés de soufflerie : le vent de Rungis apporte lui aussi son lot d’apprentissage, il peut être tout le temps de face tant il s’engouffre un peu partout. Travailler sa position et sa solitude sont les 2 piliers du MIN Cycliste, sauf les jours de course qui amenaient tout un tas de publics venus de différents cercles associatifs liés au vélo — on a hâte qu’ils reviennent. Les hangars plus ou moins désaffectés semblent être fermé depuis 10 ans quand on y arrive le soir, la ville post apocalyptique reste un songe au MIN : à la seconde où les livraisons pointent, comme un coup de pied dans une fourmilière endormie, la ville nouvelle se réanime et t’as tout Paris qui va être nourri et fleuri.