Se désintéresser du Tour en le suivant comme un(e) porcasse
Un pro français entend toujours la question "vous faites le Tour ?" de gens à qui il avoue être cycliste professionnel et, pour la majorité, il est obligé d'payer son "non" en réponse.
Par pur soutien empathique envers ce peloton invisible, celui qui n’a pas la chance d’être sur francetv/eurosport/gcn+ l’été, à cette majorité de travailleurs qui dit non à la question du Tour, tout penaud r’gardant leurs chaussures brillantes offertes par le sponsor, on se doit de se désintéresser de la “Grand Messe”. Bien sûr, on le fait aussi par snoberie car c’est bien vu en tant que suiveur de ne pas suivre La Course et de regarder ailleurs, c’est une posture avantageuse de préférer les kermesses du 62 dont les palmarès ne sont connus que de 2 personnes : le vieux raciste rabougri que personne n’aime dans le village, avec son patois quasi vlaams qu’il beugle sous sa casquette trouée là et, nous, l’élite autoconvaincue de notre supériorité sous notre casquette Rapha qui dit du Tour : “pas la meilleure course, mais bon…” Comment, dès lors, se désintéresser très très sincèrement du Tour tout en le suivant très très fortement ?
Détourner le regard de 45°
C’est un peu le choix fait par Valéry Rosier & Méryl Fortunat-Rossi, ils ont suivi ces fameux Camping Car qui, chaque année, organisent leurs vacances dans la transhumance au bord des routes du Tour. Le documentaire est tendre même si on peut le regarder un peu moqueur comme devant un Strip Tease, ce qu’on ne fera pas car on est bien élevé. Il détourne aussi les réglementations de droit à l’image imposées par l’Ogre (A.S.O.) en filmant et suivant le moins possible la course et ses zones labélisées “sous acred”. Même sans film, le public du Tour est un sujet fascinant car il est moins là pour le moment vélo que le moment humain. Les liens inébranlables créés à travers ces communauté de camping-car de col sont une source intarissable de plaisir cyclopédique, dont le scénario, bien que verrouillé par ses codes, est chaque année renouvelé à l’image de la course elle même. Ils nous donnent finalement du vélo pur, sans le vélo. Ils nous permettent de suivre Le Tour en regardant de côté, l’œil voit toujours la course au cas où La Légende s’écrit mais on pourra dire qu’on n’a “pas vraiment” suivi la course. Ils témoignent tous de la France, la petite France, ou la petite Belgique pour certains, ou le Petit Pays-Bas pour d’autres et même la Colombie, le Venezuela désormais et je ne parle pas de la nouvelle classe moyenne Slovène qui aimerait mettre définitivement à l’amende les Tifosis. Ces suiveurs sont notre miroir sans déformation : ils n’aiment pas la pub, ils n’aiment pas la caravane, ils n’aiment pas les stars, mais bon si un peu quand même, sinon on ne serait pas là. Passer une journée au bord de la route pour suivre Le Tour est une manière fabuleuse de ne pas suivre Le Tour et de le faire savoir “ui j’adore le vélo, mais perso, je préfère le [course belge au hasard],mais bon tsais l’Tour ils sont passés en bas de la maison familiale forcément, j’ai jeté un œil vite fait” - on ne peut qu’attester que ce départ en Bretagne est une aubaine pour le cadre supérieur parisien snob ; L’interlocuteur ne pourra rien vous reprocher et ne remettra pas en cause votre crédibilité vélo, il finira même content de savoir que c’est le p’tit de M’sieur Flahaut là qu’a gagné la kermesse de Bailleul (sur le circuit de Gand Wevelgem).
Détourner le regard à 180°
On parlait des kermesses en intro, mais, effectivement, pendant Le Tour il y a toujours des courses pros à suivre et faut pas perdre son bookmark sur ProCyclingStats pour scier les gens qui vous demandent “alors ton avis sur Le Tour ?” bah moi là je suis plus sur le tour de Roumanie (Sibiu Cycling Tour du 03/7 au 06/07). Il nous fournit bon nombre de d2/d3 italiennes et chaudières bizarres à stabiloter si jamais ils touchent le World Tour un jour. Faut l’avouer, il y a quasi moins de niveau que dans des FSGT d’Ile de France mais on n’est pas là pour juger et juste vivre, encore, La Légende avec un temps d’avance. On a aussi le Giro Féminin (du 02/07 au 11/07) qui permet d’avoir un discours inclusif pour pas trop cher, c’est d’autant plus un bon choix car cette course promet pas mal de spectacles mêlant nos néerlandaises habituelles - les fans de CX se retrouveront dans le roster - fae à des italiennes qu’ont grave la dalle. Cocorico, on a quelques françaises qui peuvent jouer de belles cartes comme Juliette Labous, qui sera aussi la seule représentante sur route aux J.O., et qui utilisera ce Giro comme la meilleure des préparations pour aller toucher une médaille. Suivre ces courses sur les différents sites permet de ne pas passer à côté du Tour et de le suivre encore mieux : non seulement on sait tout ce qu’il s’est passé, on a 200% des stats en même temps que les consultants et pigistes Eurosport, mais, en plus, on peut faire semblant de faire croire qu’on regarde exclusivement ailleurs.
Le meilleur regard gastronomique pour compenser le McDo qu’est Le Tour et lui tourner le dos, c’est toujours de voir ce qu’il se passe dans le “bikebacking” (ou “l’ultra cycling” y disent). La Transiberica 2021 est partie de Bilbao (Musée Guggenheim) le 27 juin, quasi en même temps que l’Tour. Les ultra cyclistes ADORENT la comparaison : eux ne dorment pas à l’hôtel, ne sont pas massés/talqués tous les soirs, ne gagnent pas d’argent dans leur sport - enfin si un peu faut pas déconner, mais très peu, oui, il faut l’avouer ; ils sont de vrais héros contrairement à ces bourgeois de cyclistes qui pleurent si jamais la selle est 1mm trop basse. Les éléments de langage sur l’ultracyclisme sont plus facilement emballés et déballés que le Village Départ ASO, et c’est toujours intéressant de suivre ces mecs et meufs qu’ont un immense grains et refusent presque de dormir (C’est inquiétant quand même les frérots, mais respect). Bon, cette année, ils se retrouvent avec un concurrent de taille car t’as Lachlan Morton, encore lui, qui s’est embarqué dans un délire très sale : Faire le même Tour de France que “les copains de la team” EF, mais sans “les copains de la team” et sans l’nutri et l’masseur aussi et l’mécano il parait. L’Alt Tour, ils ont nommé ça car ils sont forts en marketing ces punks, se vit en autonomie totale - mais avec 2 photographes et un community manager qui te suivent quand même. Il va se faire le tracé complet et aussi les transferts entre les villes sans décrocher de sa selle, il va pioncer dans son bivy comme un galérien et finalement on peut dire qu’il va vivre l’utopie du “vrai” Tour de France d’antan. Comme il est pro, il peut se le permettre de le faire pour la bonne cause (ici World Bicycle Relief). Lachy est super relou, on avait un super récital à dérouler lundi matin à la machine café, sur l’ultra cyclisme contre Le Tour, mais en un communiqué de presse et 3 posts instagram, tout le monde ne parle que de lui et il montre que tout n’est pas si manichéen. On va devoir encore potasser notre seum.
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Les prochains directs de Direct Velo pour débloquer le badge Expert+
Suivre Lachlan Morton comme un bon gros stalker puis faire un don à la World Bicycle Relief
Détourner le regard à 360° : Y travailler
Le meilleur moyen de faire croire qu’on ne suit pas Le Tour, c’est quand même d’y travailler. “Avec tout ce que j’ai à y faire hein”, hop là petit tour sur soi même : Y travailler c’est s’assurer de ne pas suivre la course en la suivant outrageusement - Aparté, il faut énormément de véhicules pour tous ces gens, j’en avais parlé à l’époque sur Medium : Dans les bagnoles du Peloton. Il y a mille et une façon de travailler sur une course de vélo. Y travailler en tant que suiveur pour les médias, par exemple, c’est finalement refaire ce que je racontais sur le premier paragraphe, puis sur le deuxième et parler de la course parfois, ils ont déjà toutes les clefs pour être désintéressés/intéressés dans le même mouvement. Bon là dessus, c’est quand même difficile de tirer son épingle du jeu car le Antoine Blondin, ça n’a pas vieilli d’une ligne et on se retrouve vite dans la merde comparativement si on s’écarte du sport un peu trop. Depuis Hinault, et même Merckx, l’écrit a sauté devant la télé. Et depuis Tamau Pogacar, l’covid a tué la télé… pour faire revenir l’écrit… Tout ça va trop vite. Les itinérants télévisuels sont maintenant fixés dans une cabine d’Issy Les Moul quand les itinérants écrivaillons/reporters ont pu garder leur petite moto, leur petite chambre, les plats de sodexho - car ils n’ont pas trop le droit de casser la bulle dans un bistrot sympa enfin on ne leur en voudra pas ; ils font le Tour dans leur coin en distanciation sociale mais en immersion. Ce rééquilibrage est intéressant : les comptes instagram de photographes s’animent sous les mots des différents blogs et de l’Équipe, il finissent de nous faire vivre l’étape une fois le direct terminé avec l’upload de leurs photos, lessivées sous Adobe Lightroom. Ils sont en concurrence direct avec les chargés de comm’ de chaque équipe, chaque sponsor, sur Le Tour, quand ils ne leurs vendent pas directement le contenu. Ce petit monde s’aime mais c’est la guerre tous les jours pour casser sa croûte, alors forcément la course hein, cela devient bien accessoire. Y travailler, c’est pouvoir dire à quel point Le Tour nous saoule et les gens ne poseront pas de questions sur notre prono : c’est s’offrir une tranquillité pour vider des quilles dans une loge hospitalité… quasi vide. L’hospitalité, c’est l’autre enjeu de toutes ces bagnoles qui essaiment la route, et en effet, la pandémie, encore elle, ça a remis en cause tout l’intérêt de la prestation : on ne peut pas croiser les coureurs qui ont leur bulle, on ne peut pas croiser le staff qui a sa bulle, on ne peut pas croiser la caravane qui a sa bulle… On se retrouve dans une meta hospitalité, où on regarde, après 5 heures de bagnoles entre les villes étapes - sans évoquer les heures de transport pour rejoindre le village départ ; un écran LED mal attaché sous une tonnelle, les pieds un peu boueux à sourire hypocritement, sous le masque quoi, à un parterre d’invités que l’annonceur a réussi à faire venir tant bien que mal. On serait quand même mieux dans son canap à dormir en maudissant Frank Ferrand plutôt que dans son alcoolisme mondain. Mais ça nous obligerait à suivre Le Tour, putain, ça jamais.
La rétro Sur Le Raidard
Le record d’Indurain, sur La Plagne, n’a pas été battu par Mark Padun mais tout le monde a voulu se souvenir. J’avais 9 ans en 1995 et je me souviens parfaitement de ce Tour car c’est celui où Casartelli est mort dans les Pyrénées. Le lendemain on était dans le Col de Marie Blanque en Famille, mon daron avait stabiloté dans velo mag le meilleur endroit à ses yeux, un super spot si il y avait eu une course - l’étape Tarbes - Pau avait été neutralisée et on se souvient de la Motorola franchir la ligne bras d’ssus, bras d’ssous ; J’avais donc juste vu le peloton groupé et les 3 maillots distinctifs - Indurain en jaune, Virenque à Pois et Jalabert en vert. Je me souviens de Pantani aussi (il était en blanc ?) et Abdoujaparov que j’adorais - il gagnera les Champs. C’est drôle car ce record de La Plagne où Indurain était monté “au train”, était finalement une étape quasi anodine, un jour d’été mid nineties, comme d’hab quoi, l’Espagnol restait assis et tirait le plus gros possible, on ne s’intéressait vraiment pas aux w/kg développés de chaque mutants. L’histoire était ailleurs comme elle l’est toujours aujourd’hui.
L’image Sur Le Raidard
Pas de lien ce mois-ci mais cette image : Clara Hosinger file un bidon à une jeune fan, c’est juste TROKIKI - on remarquera aussi son bandeau pour soutenir la cause trans (pas livré en France) (via CXHAIRS).