Sur la piste animale
Ce mois-ci : Un délire philosocyclopédique et toute la vérité sur le championnat des Tri-Porteurs du 4 novembre 1934 - où étiez-vous ce jour là, bor-del ? Vous êtes bien Sur Le Raidard septembre 2021.
J’ai lu cet été « Sur la piste animale » un livre autant philosophique que d’aventure par Baptiste Morizot. Le postulat fil rouge du livre est un retour à l’humilité humaine face à l’animalité : on “s’enforeste” en pistant les animaux et on y retrouve sans s’y attendre - enfin si un peu ; des traits culturels communs. On enquête sur un territoire sans jamais voir l’animal pisté mais on finit, à force de reconnaître là où il s’est frotté, a mangé, etc., par entrer dans son crâne, ses habitudes, et, des indices laissés, on revit l’animal grâce à un “““recentrage””” sur nos sens - promis le livre est plus intelligent et va plus loin qu’un délire de développement personnel mis en avant à la fnac. L’idée est de se remettre à sa place viscérale de la diplomatie animale, ou du moins en reprendre conscience, en s’inspirant de ce que font justement déjà les autres animaux comme, par exemple, le travail géopolitique des corbeaux croassant différemment pour attirer le grizzly vers une possible proie qu’ils pourront « charogner » ensuite.
Cette lecture quotidienne a forcément accompagné mes appréciations intimes cyclopédiques. Du coup, au niveau de Plancher-Bas (70290), je double un homme, plutôt âgé, plutôt touriste, les poches pleines de nourritures et de matériels de réparation, en train de lire un papier griffonné de ce que je devine être un itinéraire, sa trace, sur son vélo brinquebalant, sorte de carbone du début de millénaire. J’y prête qu’une attention évasive pensant déjà à ma prochaine action : trouver de l’eau au cimetière de Plancher-les-Mines, posé dans un virage, sans visibilité, de la D16. C’est, bidons remplis, que je redouble mon nouveau compère au pied de La Planche des Belles Filles. Je tire tout en haut gravissant même le raidard “sur gravier”, la Super Planche qu’ils ont nommé et peint sur un bout d’asphalte histoire d’en faire un ‘gram. Puis je redescends le cul en l’air pour recroiser mon vieux qui n’était pas encore à la moitié. Je le resalue. Je continue mon périple suivant l’itinéraire dit de la “Boucle des Belles filles”, montant le ballon de Servance, tournant à gauche 3 fois et, au pied du col des Chevrères, qui je recroise ? Les poches bien moins pleines mais toujours avec son papelard, mon petit gars, qui me dit “on n’a plus besoin de se saluer”, un peu grinçant, un peu hilare. Tout cela va faire tilt.
Au milieu des alligators et des allégories
C’est l’nez tourné vers l’Plancher-Bas que j’ai réalisé à quel point le vélo est un futurisme (ou un constructivisme si vous êtes plus à l’aise) qui aurait tendance, à priori, à nous surélever de notre animalité physique, à nous la faire quitter : tout le contraire de ce que préconise m’sieur Morizot du coup. L’invention et l’usinage massif du pignon, entrainé par une courroie, nous a complètement mythifié culturellement : nous avons créer un exosquelette permettant d’aller plus vite et (bien plus) loin qu’à cheval sans bouffer des tonnes d’avoines, une machine à exagérer la simplicité de notre force Homo Sapiens, on vaut bien 3 milliards. Le dérailleur, invention mécanique ultime, démultiplie notre force intime pour nous mener ni trop vite, ni trop lentement, à notre destination - c’est notre “vélosophe” Guillaume Martin qui en parle le mieux. C’est sur cette machine, dans les pourcentages écœurants des Chevrères, que je remarque que nous, cyclistes, pratiquant pourtant un sport de pleine nature, avons du mal à nous enforester pour autant, toujours le nez sur un papier ou un gps, ce n’est qu’en faisant une pause au sommet que je redécouvre que je ne suis pas seul à profiter des pistes goudronnés par mes pairs primates, je scrute la pelouse et le bord de forêt et je revois tout un tas de traces du monde vivant “hors humain”, ils m’ont accompagné, je les ai méprisé tout du long. Quand le nez n’est pas sur la trace, il y a une tendance irrépressible à se reposer sur la machine qui nous porte, sur son poids bien sûr “avec ton carbone j’irai plus vite”, sur sa rigidité, son roulement “j’attends mes nouvelles roues pour chasser les KOM” et tout un tas de fétichismes du genre, de veau d’or en carbone, à tel point que nous en quittons notre animalité et, par extension, notre humanité.
La magie opère quand même : le vélo surmultiplie notre puissance mais n’annihile pas l’effort. Et c’est dans l’effort que tout semble disparaitre métaphysiquement, que l’animal revient comme il ne nous a jamais quitté. Quasi introuvable dans le jargon cycliste - plus paysans qu’éleveurs, ils préfèrent piétiner la luzerne mais chassent quand même les rats ; l’animalité réapparait allégoriquement dans les personnages qui ont fait son histoire. Ainsi Fausto Coppi était le Héron : son corps et sa posture lui ont donné ce surnom - voir illustration ci-dessus. Merckx ? Lui était cannibale, l’animal alpha en quelque sorte. Hinault était le “blaireau”, bien que le surnom était plus associé à une expression à la mode qu’à l’animal (“Blaireau”, dans les années 80, était utilisé à la manière d’un “comment ça va gros ?” ou “ok fréro” ou “fais belek khouya” dans nos années 2020), le Blaireau se l’est réapproprié avec fierté : “Ça me plaît bien, parce que c'est un animal qui est agressif et ceux qui le chassent, souvent, s'en rappellent quand ils se font croquer“. Pour ses ascensions aérienne, Bahamontes était l’Aigle de Tolède. Les coureurs colombiens sont tous des “escarabajos” (scarabées) gravissant la montagne inlassablement rappelant autant le bousier Sisyphien que le plus courant lucane de forêt chevrotant son chemin sous sa lourde carapace par à-coups caractéristiques. Plus près de nous c’est l’équipe Deceuninck qui s’est nommé le “Wolfpack”. Si le surnom est plus que marketing, surfant sur la “macho vlaams énergie”, il plairait bien à Baptiste Morizot tant les caractéristiques ethnologiques de la meute sont bien acquises par cette équipe de vélo : culture de la chasse, marquage du territoire, adaptation à son terrain, transmission des ainés vers les louveteaux et là où les trop fougueux finissent par vouloir créer ou rejoindre une autre meute, d’autres plus sages savent s’effacer au bon moment afin de se délecter d’une meilleure proie peut-être plus tard.
Classification scientifique des espèces de cyclos
Hyperanimal donc ? Cela reste amusant d’imaginer le vie cyclable comme le biologiste imagine la vie. Si l’on remet l’vieux et moi des routes franc-comtoises dans une ethnographie cycliste - ou une classification si l’on retrouve enfin notre animalité ! ; on remarquera qu’mon gars est plus de la famille Cyclotouriste avec un genre Loisir, là où je me situe aussi dans la famille Cyclotouriste mais avec un genre plus Sportif - à lui de me faire mentir. Dans ce cas précis notre trait commun de Cyclotouriste c’est qu’on a le nez sur notre trace : la mienne est numérique, la sienne est un billet griffonné. Si on nous remet dans un peloton et une route fermée, sauf l'âge, il sera difficile de nous différencier. Dans cette même famille de cyclotouriste, il y aura le genre ultra endurance mais sont-ils plutôt à intégrer dans le genre sportif ? Wa je me hype tout seul : Il va falloir que je me penche sur le sujet plus longuement même si ça ne semble n’amuser que moi. Les 3 grands genres m’ont l’air plutôt clair : Loisirs, Touristes, Sportifs. Les familles que l’on place au dessus du genre pourront être : Cyclosportifs, Cyclotouristes, Cyclousagers. Cela fera une autre newsletter gratoss car là j’en rate certainement ou je le prends peut-être à l’envers. Une chose est sûre, on n’a qu’un seul ordre : le Vélo. Et ce putain de raidard à gravir - sauf en Loire Atlantique.
La rétro Sur le Raidard
Suite à un tweet de, l’inévitable, David Guenel, je me suis intéressé aux Championnats des Tri-Porteurs. Et surtout à… l’édition 1934 ! On remarque qu’en 30 ans, il y a déjà des améliorations significatives : ils sont désormais profilés aero (et doivent porter 65 kg).
La course de 1934 est racontée sur BlackBirds SF et j’ai remonté quelques trucs de Gallica. On apprend qu’elle se déroule avec 50 participants sur une route pavée glissante et dégueulasse. Le favori a la boite la plus aero mais aussi des suspensions et un dérailleur, le tout construit chez… “Larribe” - un détail croustillant. Le parcours est en fait un tour de Paris passant par toutes les portes, une sorte de alley cats des (boulevards des) Maréchaux que les cyclistes franciliens connaissent bien. La giga star donc c’est Cognasson 6 fois vainqueur, 2 fois deuxième et il se présente au départ sous le patronage de l’équipe “L’intran-Match”, du nom du titre de presse anciennement “L’intransigeant”. L’intran-Match sera les fondations du futur Paris Match et on le nommait déjà “Match” semblerait. Dès le départ, 3 concurrents se détachent et prendront jusqu’à 10 minutes sur le gros des troupes. La course se décantera encore sur les montées les plus dures (Porte de Versailles, d’Italie, de Charenton et des Lilas dit le reportage sans qu’on ne puisse le contredire), où Cognasson essaiera, sans réussite, de lâcher son “““rival””” nommé André Soulimant - lui aussi chez “Match”. Il finira par perdre ses nerfs et éclatera une roue de son tri flambant neuf en ratant un virage en sortie du boulevard Sérurier, au niveau de la porte de Pantin. Soulimant n’aura plus qu’à rejoindre “tranquillement” l’angle du boulevard de Grenelle où se trouvait le Vel d’Hiv qui faisait office de ligne de départ et d’arrivée. Grâce à “une réparation habile”, Cognasson finira 2, battant au sprint Gillio qu’il venait de rejoindre à 400m de l’arrivée. Ils finiront à 44 secondes du vainqueur - Le sprint va se dérouler accompagné de 50 autres cyclistes, suiveurs et badauds, ne participant pas activement à la course (génial).
Mais la revue Sport du 19 décembre 1934, soit un mois après la course, va ironiser sur ce critérium et donner plus de détails sur ce qu’il s’est tramé. Le journaliste R. Dumont nous rappelle le règlement : La course des Tri Porteurs est réservée aux coursiers faisant des tournées de presse, en Tri Porteur donc, et employés depuis au moins 1 mois par un titre. Cognasson est plus ou moins un cycliste professionnel, en plus du cash prize intéressant, il se propose d’abord aux titres de presse afin de donner sa boite aux plus offrants. Match lui donnera 500 francs pour afficher la marque ainsi que “le contrat d’un mois”, mais monsieur Dumont a vérifié : Match n’est distribué nul part en “tri”, un premier écart qui ne sera pas sanctionné… comme si la publicité avait gagné face au sport. Mais la malice se fera aussi sur l’équipement. Cognasson se propose aussi aux fabricants : un Tri Porteur gagnant est un Tri Porteur qui se vendra aux “vrais” forçats, salariés de la distribution de presse, voulant améliorer leur rendement et leur confort - ceux qui finiront à 10 minutes quoi. C’est le fabricant Galland qui fournira l’Cognasson, il demande au coursier d’afficher sa marque sur la caisse au côté de “Match”. Pourtant, sur les images, c’est bien Larribe qu’on lit en lettre capitale peinte ? On apprend donc, dans “Sport”, que Monsieur Larribe a fait venir dans ses ateliers messieurs Cognasson et Soulimant, son premier protégé. Si on ne sait pas ce qu’il s’est passé entre les hommes, il s’avère qu’après l’entrevue : Cognasson repartira avec le “Tri” floqué Larribe, tandis que Soulimant récupérera et biffera le “Tri” de chez Galland. Le deal est limpide : Cognasson semble le plus en forme des 2 et ils n’auront pas vraiment de concurrences face aux livreurs du quotidien. Malheureusement, on l’a vu, le favori trop nerveux éclatera sa machine Porte de Pantin et c’est un Soulimant, bien embêté, qui sera obligé de “mettre au fond” sur son Galland à cause d’un Gillio intercalé entre les 2 compère et roulant pour un autre fabricant. L’Auto, à la publication des résultats, ne s’embêtera pas annonçant “1: Soulimant, 2: Cognasson sur des Tri Porteurs Larribe”. On ne sait pas ce qu’en a pensé Galland, qu’on soupçonne être la source du journaliste qui conclura : “Voyez-vous une meilleure manière de se moquer des gens ?”
Les liens Sur le Raidard
C’était bien dense ce mois-ci. 3 tit liens pour se dire à demain.
Une éternelle titraille de “Samuraï du vélo” pour parler du Keirin mais ces 5:23 de France 24 sont plutôt sympathiques surtout le vieux blédard endetté qui avoue être détesté par sa famille (lui souhaitant la mort)
Le prix des vélos va augmenter, bordel, et on le sait parce que Jour de Vélo nous file les graphiques sur le cours du container en $, pas demain que je vais me pouvoir me payer mon Omnium Cargo pour gagner des courses de… Bi Porteur.
Pour se rendre "au stade derrière la caserne", les Malinois choisissent le vélo et le garent grâce à "l'étiquette" : "Certains ont des dizaines d’étiquettes du parking accrochées à leur guidon, signe d’une fidélité XXL"