Chronique Musicale du Peloton (2)
Plongée sur 3 gimmicks musicaux qu'on entendra forcément en boucle cet été.
Quand Sur Le Raidard n’était pas une newsletter mais une “revue” medium, j’avais proposé une première “chronique musicale du peloton” autour de 3 playlists volées à Jacopo Guarnieri, Lorena Wiebes et Niki Terpstra - faisant la part belle à l’indy globalisé d’hipsters italiens et à la techno néerlandaise. C’était en juin 2019. Un exercice amusant qui permet de situer les différentes personnalités qui animent une course cycliste. Pour juin 2021, cette chronique musicale du Peloton (2) va aborder les titres stars des réseaux sociaux : automotivation, développement personnel et lifestyle… Ces titres sont des témoignages intéressants de la vie sportive contemporaine : Pour se montrer, afficher les sponsors, donner des nouvelles, c’est que les coureurs et influenceurs ont tendance à tourner en rond question musique… En ressort un monde finalement quasi intemporel où on n’a pas besoin d’écouter les morceaux plus de 20 secondes. Cela ne vous prendra qu’une minute à tout comprendre donc.
Grits - My Life be Like (Ooh Ahh)
Est-ce que vous connaissez Grits ? À priori oui, si vous suivez des cyclistes sur les réseaux sociaux. Mais est-ce que vous connaissiez Grits, est-ce que vous savez d’où ça vient ? My Life Be Like est en fait un morceau de “rap chrétien” qui n’avait jamais vraiment percé jusqu’à nous. C’est purement un titre de la scène baptistique ricaine avec ses propres codes (les titres doivent accompagner l’évangélisation) et son propre marché (exclusivement Etats-Uniens, mais l’amérique latine chrétienne en consomme fortement) et on n’aurait aucune idée de ce morceau si il n’était pas devenu un tube de “réseaux soxciaux”. La vie de ce titre est un peu absurde, sorti en 2002 sur leur album “The Art Of Translation”, il est ressorti en single en 2007 pour accompagner commercialement une diffusion de la télé réalité MTV “My Sweet Sixteen” - où l’on vit le 16ème anniversaire d’un ou une giga riche ; qui utilisait plus ou moins ironiquement ce morceau pour illustrer, en 2-3 cuts vidéos, à quel point la vie de cette personne est absolument… fastueuse.
Cette efficacité dans le gimmick “ooh / aah / my life be like” et son instrumentalisation hors du temps ont offert à ce morceau une nouvelle vie en 2019… C’est qu’il répond à tous les codes de la mise en scène “TikTok’ (eux mêmes inspiré des codes débuts 2000 de MTV), pas besoin d’écouter le morceau en entier, les 20 premières secondes sont amplement suffisantes et accompagnent n’importe quel propos : panorama, cut d’entrainement, prise de vue au sein du peloton, machine à café à 5k€. Le rap chrétien a une magnifique entente avec les réseaux sociaux car il est culturellement conventionnel, autant dans ses méthodes de production que dans son propos. Le morceau ne se différencie pas d’un autre morceau “new jack” de la même époque, et est éternellement interchangeable et soluble dans l’industrie musicale. D’être autant convenu, cela crée un sentiment ambivalent : on a l’impression de connaitre par cœur ce morceau, d’être rassuré et de le réécouter comme un vieux tube de notre adolescence/enfance là où il n’avait jamais atteint nos oreilles jusqu’il y a 2 ans. C’est un instantané d’émotion mondialisé.
Dirty Heads - Vacation
Je l’évoquais dans la précédente newsletter, mais obligé de revenir sur ce morceau, à priori insupportable, mais pourtant le plus efficace dans notre nouvelle ère musicale - qu’on pourrait nommer de “post-virale tiktok”. Ici, aussi, l’enjeu du morceau tient dans le gimmick des 20 premières secondes “hey hey hey - i’m on vacation - every single day - cause i love my occupation, hey hey hey - i’m on vacation - if you don’t like your life - then you should go and change it “, le reste n’ayant que peu d’intérêt et ne sert qu’à passer le temps si on a oublié de cliquer sur pause. Là où “My life be like” est utilisé pour illustrer les séances d’entrainement et les stages difficiles, Vacation de Dirty Heads décrit lui les séquences d’entrainement plus cools, quand il fait beau après 3 jours de pluie ou quand c’est juste un départ pour un stage de cohésion. L’ironie de ce morceau c’est que le peloton est sous anti-dépresseur ou du moins toujours à la limite et traverse cycliquement de graves crises existentielles entre pression des sponsors, manque de résultat, concurrences extrêmes, chute à la con, etc. Mais Instagram et ce morceau ont cet avantage de se persuader que tout ceci c’est un peu des vacances, que si on en est là, c’est qu’on aime ça et finalement tout va bien, si on n’est pas content on n’a qu’à changer de vie : putain c’est en fait un morceau MEDEF ? Ya l’Elavil pour le cœur et “Vacation” pour les stories. L’idée est d’accepter le déni de sa condition ou du moins se protéger de sa vanité : à tout moment - par l’enchainement des courses, le risque de chute, les problèmes musculaires, cardiaques ou, plus prosaïquement en vieillissant ; ta carrière sportive va se terminer, alors pourquoi ne pas prendre ça pour des vacances, la parenthèse d’une vie quotidienne classique. Mmh, ça va en fait.
Riton - Friday (feat. Muphasa & Hypeman) - Dopamine Re-Edit
Dans la famille morceau à gimmick, qui de l’œuf ou de la poule..? Est-ce le gimmick viral de tiktok qui fait le morceau ou le morceau qui crée le gimmick ? Dans le cas de Riton la réponse est limpide : des mecs font une vidéo sur “Push The Feeling On” de Nightcrawlers - avec une danse “délirante” en plan séquence d’une voiture qui avance au ralenti ; en rechantant “it’s friday theeenn it’s s’turday sunday WHAT” dessus. La vidéo explose viralement et connait tout un tas de reprise… ni une, ni deux le producteur d’EDM Riton clear les droits et fait le remix “officiel” du “meme" : un hit de dance music comme l’était les Nightcrawlers au début 90. Ni deux, ni trois, le cycliste professionnel, jamais loin de son smartphone, récupère les 20 premières secondes - qui lui sont totalement destinés ; et illustre ses fins de semaine, quand t’as fait tes lactiques et que tu lances ta récup’. Souvent les courses ont lieu le week-end, le message devient moins un message de repos et d’ode à la farniente du week-end qu’un message de motivation pour affronter les autres et voir si les efforts réalisés dans la semaine paient. Cela tombe bien… le “pay day” est un thème important du RAP US et il convient de balancer un gros morceau de trap testostéroné quand on lève les bras “they see me rollin / they hatin” : malheureusement pour le coureur, cela arrive finalement rarement.
Toute la playlist du coureur et de sa communication est un Prêt à Manger générationnel, les codes n’ont même pas besoin d’être compris ou réfléchi, leur simple existence suffit à leur utilisation. De toute façon si il faut trop réfléchir pour choisir sa musique, la fleur est déjà fanée, tout doit se piloter dans un instinct fonctionnel le plus terre à terre pour rester dans le rythme et ne pas perdre… la bonne roue.
Bref, au pire on n’a qu’à remettre de la techno flahute - même si certains n’ont pas le sens du rythme.
Bonus Track Hors Peloton
Kareem Ali - Breakaway
Kareem Ali est un producteur américain (né à New York, vit à Phoenix). Il vient de sortir un ep nommé “Breakaway”, dédié “to all the bikers. Road, BMX, Track, MTB. Riding through this velodrome called life.” Très prolifique sur son label CosmoFlux et dans un univers afrofuturiste proche des pionniers de la techno, inspiré autant par Miles Davis que Louis Farrakhan - “pasteur” de l’organisateur Nation Of Islam, il s’essaye ici à proposer la B.O. ultime et, résolument underground, du cyclisme contemporain : multidisciplinaire, progressiste et carrément interplanétaire. Mon petit guilty pleasure pour attaquer l’été.
Pas de rétro Sur Le Raidard
Oui désolé, il fait beau. Donc je n’ai pas fait de home trainer en mettant une course en fond. Donc il n’y a pas de rétro là maintenant. Juste le bruit de la forêt et de la cambrousse essonnienne - et le céramique de mes nouvelles roues.
Les liens Sur Le Raidard
Gran Turismo : sur les routes du premier giro et de l’histoire de l’art contemporain à cette période (Soigneur.NL)
Rencontre avec Claudine Rousseau, cheffe d’atelier chez Rapha (GloriousSport.com)
Cela fait un ans que je l’attendais perso, le livre “War On Wheels” sur l’histoire du keirin par Justin McCurry, correspondant du Guardian pour la Corée et le Japon, sort enfin (précommande jusqu’au 24 juin sur Amazon, je n’ai aucun partenaire rémunération si vous cliquez sur le lien, faites-vous plaiz ailleurs si il faut)
Pour les abonnés à Canal, le film “The Climb” est dispo : si le cyclisme n’est qu’un prétexte scénaristique amusant dans l’amitié de ces 2 gars, cela reste une bonne comédie où on apprécie une ambiance qui fait écho à nos comportements plus ou moins (+ que -) toxiques. La première scène, “le climb” donc, se déroule sur le col de Vence qu’on reconnait à sa poubelle et à son Poney Club au sommet - Un super petit col de l’arrière pays niçois si vous ne l’avez jamais fait.