De la lutte dans le Cyclocross féminin
Un sport professionnel hyperlocal, en immense croissance, fait de marques de container Anversois, de sauces frites belges et de produits pour cheveux allemands.
Arrivent le matin des tas de camping-cars, il s’enferment sur même pas 70 m², et t’en sortent 70 meufs de tout univers, de toutes nations diraient les plus patriotiques observateurs, 70 histoires personnelles, plus ou moins sombres, qui vont aboutir à ça. Ça : tourner en rond dans la boue. C’est grotesque, la boue, cela fait d’abord écho aux combats de Fort Boyard mêlant une dame de la société du spectacle à une anonyme sportive, entrant à son tour dans la société du spectacle, lutteuse du Fort qui défend “la” clef dans la glaise - L’objectif voyeur à peine dissimulé est devenu plus subtile à mesure qu’Alexia Laroche-Joubert, qui produit le show, l’a transformé en un hommage, “empoweré”, au Lucho Libre. En Belgique - c’est très souvent dans le nord de la Belgique et le sud des Pays-Bas que ça se passe ; c’est tout un organisme, sûr de lui et inébranlable à ces questions, qui a finalement installé et aligné 3-4 vélos devant les camping-cars, harnachés à des “rouleaux” sur lesquelles ces femmes tournent leurs jambes. Elles s’échauffent. Tout s’agite autour : Les courses de cyclocross fonctionnent par la billetterie, le mécénat des bâches autour du circuit et les droits télés, ainsi les coureurs touchent généralement un cachet, plus ou moins élevé selon leurs réput, afin d’attirer les badauds. Les Belges sont à l’avant-garde de l’hospitalité, ils peuvent te transformer, en 24 heures, un champ de patates en une fanzone survoltée jouxtant un salon VIP plus feutré : une autre idée de la rave. Il faut retenir que le circuit, les tonnelles et l’accueil des fans sont les prioritsé, ensuite les athlètes. Ils finissent par tourner sur le circuit. D’abord les plus jeunes garçons, puis au fur et à mesure de la journée, on vieillit. Le cyclocross est un sport autochtone au même titre que le football australien ou la pelote basque - il n’intéresse vraiment que les 5 provinces flamandes et 3 patelins bataves, c’est quasi consanguins. Ils n’aiment pas trop qu’on leur rappelle. Chez les Hommes, ce sont des fratries entières qui concourent sur le devant de la scène. Le reste de la famille, qui ne tourne pas les jambes, n’est jamais loin. Côté cours, certains se spécialisent dans la pression des boyaux, le kärcher pour d’autres, côté jardin, il y a les masseurs pendant que d’autres préparent la collation. Il te faut un max d’oncles et tantes pour percer : Les rôles sont ainsi disposés selon des cercles concentriques familiaux qui se font et défont comme l’ondulation d’un ricochet dans le canal. Et si tu n’as qu’un conjoint, il fera tout ce qui a été cité, seul.
Le territoire
Les filles, les femmes disons, ou carrément les Women, les Women Elite même - WE selon la nomenclature UCI ; Elles, profitent de cette levée de rideau pour faire leur repérage. La consanguinité est (légèrement) moins présente que chez les hommes et c’est tout le primo-intérêt de cette catégorie : face aux enjeux masculins, forcément épiques et largement contés, surmythifiés (MVDP vs WVA, les Vantourenhout, l’armada Belge, le fils de Sven Nys, le divorce de Sven Nys et autres légendes) elles ne semblent être là, avant tout, que pour elles. Plus ouvrières du sport que leurs comparses masculins, eux, déjà cadres supérieurs. Tout autre intérêt extérieur, que leur propre présence sur le circuit, en devient presque dérisoire. 1 heure avant la course, elles quittent les rouleaux et font des tours au ralenti pour analyser et réciter leurs gammes : quelle est la viscosité du terrain, comment prendre ce virage, cette ligne droite est un 15 secondes ? quel porté de vélo pour ce dévers, et là ça passe sur les pédales ou faudra courir ? Elles en discutent, souvent elles savent d’avance : les flamands sont assez conservateurs et filent les mêmes tracés depuis 50 ans, seules les compagnies d’assurance qui sponsorisent changent (que de nom). La course à venir s’écrit dans toutes ces têtes mais la pluie, parfois, ou le passage d’une autre épreuve entre temps, changent les histoires que l’on voulait se raconter. La boue n’est pas le marbre et rien ne reste graver indéfiniment sur un circuit de cyclocross. Sur un champ de batailles, il ne faut rien prévoir sauf tout, il faut vivre tant qu’il y a des tours de circuit : il fait en général 3 kilomètres. L’ornière de la coureuse en tête n’est plus tout à fait lui même quand sa dauphine, roue dans roue, lui succède. Les 68 autres, plus lentes pour le moment, apportent leur trace à l’édifice que les leadeures redécouvriront le tour d’après et devront recomposer. Ces micro évènements s’enchainent ainsi toutes les 2 à 3 mètres, 3 fois, 4 fois, 5 fois : durant 45 minutes. Les organisateurs aiment les pièges évidents, ils mettent des planches à sauter, resserrent des virages avec des piquets, trouvent des pentes que l’on ne monte même pas à pied ou t’obligent à sauter du vélo pour monter un escalier avant de couper “à travers champs” et, bien qu’ils marquent au spray fluo les racines, ils espèrent secrètement que d’autres pièges apparaissent. La tragédie ne s’achève qu’après le “laatste ronde”. Le champ lexical témoigne de l’hyperlocalité de ce sport, les choses sont dites en vlaamz par le speakeur et un peu en français si jamais la course s’est perdue en Wallonie - ou est une course majeure UCI dont le français est une langue protocolaire. Avant de passer la ligne, la vainqueure, ou n’importe quelles concurrentes heureuses d’en terminer, tape les mains qui lui sont tendues avant de couper la ligne et de couper le chrono sur sa smartwatch, essoufflée. Ici, dans les courses les plus prestigieuses, et on lui tend une veste, sa collation, un coup de lingette et faut vite aller sous la tonnelle des médias. Sinon, c’est maculées de boue encore humides de sueur qu’elles se présentent et disent les choses. Sporza, le diffuseur local, pose 3 questions en flamand puis 3 questions en anglais pour la diffusion internationale. Les questions comme les réponses sont souvent accessoires, comme quand on se croiserait au parking au pied du taff, elles disent “ça va”, “ça a été”, “merci”.
Les belligérantes
Si l’on prend le classement UCI, on trouve 7 néerlandaises pour les 10 premières places. De cette photographie il ne faut rien retenir sauf que ce trust est lié à la localisation de ce sport - On s’étonne moins de la trop grande majorité d’Etats-Uniens en NBA. Le star-system du CycloCross est ainsi fait. Surtout, les néerlandaises, ventant produits et services locaux sur leurs maillots, nourrissent leur famille par l’obligation de participer aux zumbas (quasi quotidiennes en janvier) que proposent chaque région : le cachet, pour seul salaire, fait d’elles une masse prolétaire dans les compétitions du quotidien. Elles engrangent ainsi des points UCI - et le plafond de coureuses durant les courses à équipe nationale (les championnats internationaux) ouvre parfois des portes aux autres nations. Alors arrive Lucinda Brand (Baloise Trek Lions), avec son maillot de Championne du Monde, elle est, à date, la seule favorite à sa succession. Lucinda Brand est une fière porte parole de son sport, elle prend à partie l’UCI sur twitter et participe aussi aux compétitions de cyclisme sur route. On l’a regretté sur Paris-Roubaix. C’est la bonne élève, notre déléguée de classe. Celle qui tape des 18 toute l’année. Tu l’as revu plus tard à une soirée “d’anciens”, toujours major de sa promo en prépa. Aujourd’hui, elle dirige le service “customer experience” où tu es simple conseiller client. Toi, hein, t’as préféré passer tes soirées avec Denise Betsema (Pauwels Sauzen), si elle est tombée pour dope, elle a réussi à prouver son bonne foi (d’une pollution involontaire) en fournissant tous ses compléments alimentaires aux instances et n’a été suspendue que 6 mois. Transparente, straight edge et mélancolique : Merde, putain, c’est ta petite amie post-punk ! Elle ramène l’argent à la maison que t’es en train de retaper sur l’ile de Texel. Cet été vous partirez dans un modeste camping landais avec vos 2. Du “top tier” du CX féminin, c’est elle qui donne le plus l’impression d’être au travail. Moins tueuse que sa comparse, on a parfois l’impression qu’elle ne force pas plus physiquement afin de finir fraiche et d’être là demain, prête à rempiler les cachets jusqu’à profiter d’une retraite sans Trouble MusculoSquelettique, l’élue CSE. Derrière les 2, ça se bouscule, t’as Ceylin del Carmen Alvarado, néerlandaise originaire de République Dominicaine, elle est dans l’équipe phare du moment : l’Alpecin Fenix et si t’es plus du côté du marketing, à l’UCI, c’est direct ta préférée. Non mais elle a été championne du monde sur son premier mondial, surclassée, un sprint de furieuse contre Annemarie Worst qu’elle coiffe sur le fil terminant à 4 pattes dans une barrière, hoquetant ses larmes sur le goudron, dans l’étreinte maternelle. L’image aurait dû cacher la célébration détestable de MVDP, le lendemain, saluant d’une révérence son vélo. Double bonus pour le marketeux vélo : Elle est cette copine qui permet de dire “oh hey j’suis pas raciste la preuve : j’adore Ceylin !!!”, un sujet sur lequel tout le monde fait semblant d’être aveugle en Europe. Annemarie Worst (777), justement, a pris la place qui était allouée à Alvarado les saisons précédentes. De Worst, on retient sa constance robotique et sa natte. La natte est capitale dans le cyclisme féminin : et de ce sujet qui parait anodin, presque grivois, il faut retenir que les casques ne sont pas pensés pour les femmes - la ritualisation d’avant course en devient un sujet passionnant. La majorité des concurrentes se natte les cheveux avec une précision aussi mécanique que la pression de leur boyau, les druides verront qu’elles tournent dans les labourés entre 2 equinoxes, comme si le cyclocross n’était finalement qu’une extension sportive de nos rites païens ancestraux.
Et pour avoir du bon blé, la fédération néerlandaise est très organisée : tous les mercredis, les ados de tout le pays font des cyclocross à travers le pays pour le fun, grâce à ça ils nous ont trouvé, pour les prochaines récoltes, Puck Pieterse (Alpecin-Fenix) et Fem Van Empel (Pauwels Sauzen-Bingoal), 19 ans. C’était sans compter sur l’arrivée d’une pépite hongroise dont le nom sonne déjà comme un marque de blaster Kata Blanka Vas (SD Worx), avec ces trois là vous pourrez expérimenter ce que j’expérimentais, plus jeune, durant des étés interminables, à guetter mes cousines courir dans le gazon de la maison familiale girondine, moi dans un état de semi-somnolence d’un repas résolument trop copieux, elles, tellement heureuses de se retrouver pour se taquiner et se promettre des retrouvailles dans “d’autres contextes” plus souvent. C’est qu’il y a quelque chose à la fois de l’intime familial et de l’Histoire Européenne qui résonnent en nous dans une course de Cyclocross, quelque chose que “les autres” ne peuvent comprendre tant ça fait vibrer notre ADN avant qu’on ne puisse y poser des mots, presque, raisonnables.
Mais une autre culture existe de l’autre côté de l’atlantique, impossible donc de ne pas parler de Clara Hosinger (S&M CX). Comme les mondiaux auront lieu sur son continent, et fière d’une 4ème place à Ostende l’année dernière, elle est le dernier espoir du peuple américain afin d’effacer le souvenir récent de Katie Compton qui a avoué une belle conso de dope testostéronée. Si elle n’avait pas le Stars & Stripes sur le dos, rien ne pourrait différencier Hosinger d’une concurrente Oranje, je dois l’avouer. On repense alors à comment s’est construit cette nation, avec ses paysans néerlandais, ce blizzard qui crie famine, les natifs apeurés et accueillants : notre délire ésotérique autour du CX aura du mal à se refermer, tout est dans les non dits. Le CX aux Etats Unis est moins dans une culture Star80 et se rapproche plus d’une culture associative, quasi stand FSGT aux fêtes de l’Huma. Chill quoi. Les courses, pour un fan, c’est payé un ticket quelques bucks pour faire le circuit sur son vélo, être classé avec d’autres, parfois se déguiser en T-Rex, ou n’importe quoi, et finalement ne pas terminer la course car on va boire des coups aux “campers” des sponsors ou des potes qui sont venus poser un bbq, avant d’assister à des tables rondes sociopolitiques ou découvrir d’autres façons de faire du vélo et, enfin, encourager les pros pour terminer la journée. L’hospitalité n’est pas VIP mais sociale. C’est grâce à GCN que j’ai découvert cette ambiance “aprem’ au Parc” complétement exotique pour un européen et surtout Maghalie Rochette (Indépendante, sponsorisée par Specialized/Rapha/Feedback et les bières Boréal) parle tout le temps de ça. “Magh Roch” est ma principale inspiration pour parler de CX féminin. Elle est québécoise et domine le circuit panaméricain avec sa comparse Hosinger. Elle est celle qui fournit, sans doute, le plus de matériel francophone sur le cyclocross et je ne sais pas si elle en a conscience : nous, tit cons de français, on a que Steve Chainel pour nous parler de ça, avec plus de hauteur que les fans tarés, mais il est parfois trop occupé à faire des vannes aux copains, à la télé, en espérant convaincre des sponsors pour son Cross Team Legendre. Bref, Magh c’est vraiment la besta et on aime l’encourager, lui envoyer de la force - j’ai, bien entendu, acheté son snood en vente sur Rapha. Magh Roch raconte absolument tout sur instagram, dans ses podcasts, dans sa newsletter, on entre dans une dimension qui n’a rien à voir avec le star system benelux : directe, franche et naturelle. Surtout on n’a pas besoin de google trad pour piger les termes et, putain, enfin quelqu’un qui ne bloque pas sur la pression des boyaux pendant 13 heures bordel de merde. Qu’est ce qu’ils ont tous avec la pression des boyaux putain ? Quelqu’un peut m’expliquer ? On s’en fout de comment le daron de Sanne Cant gonfle ses boyaux, merde quoi.
Pour finir, cocorico. Depuis la “retraite CX” de Pauline Ferrand-Prévost, nous avons les sœurs Hélène et Perrine Clauzel, omniprésentes dans les classements et fières représentantes de notre meilleure structure française : A.S. Bike Cross Teams. Les sœurs Clauzel semblent inséparables, au classement Hélène (la benjamine) a pris le dessus mais elles vont bientôt être toutes les deux dépassées par el phenomena Line Burquier. Cette dernière peut regarder dans les yeux les autres U23 NL car elle a déjà touché plusieurs top classement en Elite (en WE, hein, toujours selon la nomenclature UCI) - 6ème en coupe du monde à Overijse, double victoire back to back en Coupe de France à Troyes ; Elle sera une adversaire redoutable en U23 pour les mondiaux, surtout si toutes les autres se font surclasser - Elle a fait 4 aux Europes, derrière 3 NL. Le CX français a toujours eu des représentantes régulières, plus que les hommes. Outre Ferrand-Prévost, on pense à Caroline Mani qui court justement sur le plus chill circuit américain et patronne un peu les girlz là-bas. Impossible aussi de ne pas envoyer un big up à nos élites du début des années 2000 : Laurence Leboucher et Maryline Salvetat. Nos françaises ramènent régulièrement le maillot arc-en-ciel ou au moins une médaille (big up aussi à Lucie Chainel-Lefèvre) pendant que nos français, en Elite, n’ont rien fait depuis le bronze de Mourey en 2006 et… Dominique Arnould, champion du monde… 1993. Branloss va.
La tierlist Sur Le Raidard pour lâcher d’autres noms pendant le Mondial et impressionner vos amis
***** Lucinda Brand
**** Denise Betsema, Clara Hosinger, Maghalie Rochette, Annemarie Worst, Marianne Vos (oublié d’évoquer la patronne, le plus gros palmares du CX, désolé Marianne, place aux jeunes ?)
*** Ceylin del Carmen Alvarado, Kata Blanka Vas (U23 ?), Puck Pieterse (U23 ?), Fem Van Empel (U23 ?)
** Shirin Van Androoij (U23 ?), Yara Kastelijn, Sanne Cant, Line Burquier (U23 ?)
* Hélène Clauzel
Les Liens Sur Le Raidard
Bah du coup on reste dans le thème.
Le podcast de Maghalie Rochette, ici un épisode où Maghalie, et son mari David, répondent aux “tripeurs de CycloCross” québécois.
Le Cyclocross Album (25£).
Un livre qui m’a inspiré pour écrire tout ça : The Beast, the Emperor and the Milkman de Harry Pearson, plongée typiquement britannique et à la première personne dans les classiques belges du printemps.
Sinon, Le Rwanda a été choisi par l’UCI pour héberger les mondiaux 2025.
À une période où entrainement, confinement et distanciation existent, Zwift a défini un metaverse viable et presque inspirant - relisons aussi “Watopia, Bikepacking, coronapistes : quelle utopie cyclable ?” le tout sur le raidard.
Bon, c’est pas comme ça que j’vais pécho une accréd’ moi.